Jean Jacques Rettig
 
        Le regionalisme des annees 70 
        © Jean Jacques Rettig, 1998
 Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
 Vos parents et vous-mêmes avez sûrement souffert. On vous a souvent pris vos 
  repères, vos frontières. On Vous a imposé dautres. A nouveau, depuis quelques 
  années, un autre monde, avec dautres valeurs, se construit pour vous. Le risque 
  est grand, pour nous tous, de vivre les choses en adolescents, de penser que 
  nous sommes uniques, que notre malheur, notre bonheur, que linjustice subie, 
  que les nouveaux slogans proposés (ou imposés) sont uniques. Or lunique se 
  retrouve ailleurs, même si nous ne le savons pas. Et dans le monde entier, des 
  individus et des groupes avides de pouvoir et de profit, cherchent à maintenir 
  les populations dans un état dadolescence, tout au long de leur vie, pour mieux 
  réussir à les manipuler.
 Je viens dAlsace. Pour le moment, je suis donc citoyen français. Ma région 
  est très belle; elle est riche matériellement et culturellement (encore). Mais 
  son histoire a très mal commencé. En cela elle pourrait être la soeur de la 
  Galicie. Charlemagne avait trois petits-fils qui se partagèrent son empire. 
  Louis le Germanique eut lEst, Charles le Chauve lOuest et Lothaire la longue 
  bande du milieu qui allait du Schleswig-Holstein jusquà Naples. Charles et 
  Louis signèrent le SERMENT DE STRASBOURG en 842 (Non-aggression et assistence 
  mutuelle: cela fait penser à Hitler et Staline!) ... et bouffèrent peu à peu 
  le royaume de leur frère Lothaire. LAlsace fut incorporée à la Germanie. Plus 
  tard, Louis XIV., Roi de France rêvant de gloire, voulut des frontières plus 
  droites et plus naturelles. Il conquit donc lAlsace et constata, du haut 
  du Col de Saverne: Quel beau jardin! En 1870-71, notre Région fut reprise 
  militairement par les Allemands, en 1918 par les Français, en 1939 par les Allemands, 
  en 1945 par les Français... et en 1970 par lindustrie nucléaire.
 Que vient faire ma petite famille dans les tourbillons de ce mic-mac géopolitico 
   militaro  idéologico  hypocrito  parano  et si peu humano  veridique?
  Mon grand-père Emile était sculpteur sur pierre, protestant de confession 
  et avait ses meilleurs amis parmi les moines Capucins du monastère catholique 
  den face. Très souvent il prenait lun ou lautre comme modèle pour ses scultpures 
  réalisées sur les cathédrales de Dresden, Meissen, Strasbourg, Zürich, Berne... 
  Sa belle-soeur avait épousé un Badois (Allemand) immigré après 1870. En 1918, 
  elle dut partir avec lui en Allemagne. Le grand-père Emile est mort dans lOuest 
  de la France, où il sest réfugié devant lavancée de la WEHRMACHT allemande, 
  en 1939. Lautre grand-père, encore un Emile, ferblantier de son état, savait 
  faire de tout et de rien des jouets pour ses enfants et leur expliquait le monde 
  en inventant des histoires, des contes, et en se baladant avec eux le long de 
  la rivière. Dorigine protestante, il avait sons entrée chez le rabbin, le curé 
  el le pasteur du village. A cette époque, ce nétait pas rien.
  Mon père, né en 1896, de prénom également Emile, est devenu très tôt un internationaliste. 
  Enrôlé malgré lui comme soldat allemand , durant la première guerre mondiale, 
  il a été blessé par une balle russe, en 1917, et cest létat français qui lui 
  a versé une pension dinvalidité partielle jusquà sa mort, à lâge de 90 ans. 
  Bel exemple duniversalité! Très tôt il a compris que les intérêts de certains 
  puissants, dont par exemple les magnats de lindustrie de larmement, étaient 
  transnationaux, donc transfrontaliers. Au fond de sa tombe, sa balle, ce petit 
  bout de métal logé à 2cm du coeur, dans le corps en train de retourner à la 
  poussière, nous interpelle profondément  -  et avec malice. Dans ma famille, 
  on préférait être français, mais on voulait pouvoir parler lalsacien et garder 
  notre culture propre, à mi-chemin entre lAllemagne et la France. Durant cette 
  époque totalitaire, nous faisions toujours nettement la différence entre lAllemand 
  et le Nazi.
 Ma mère Frédérique, née en 1901, na fréquenté lécole que jusquà 14 ans. 
  Elle était dotée dune volonté terrible et dune puissance daction remarquable. 
  Mue par un élan humanitaire, elle a obtenu des Nazis lautorisation de faire 
  chaque jour la cuisine à une soixantaine de prisonniers politiques du camp de 
  SCHIRMECK, qui travaillaient le long de la voie ferrée, durant les années 1943-44. 
  Cétait loccasion, évidemment en cachette, de les mettre en relation avec leurs 
  familles, de les fournir en médicaments et en nourriture supplémentaire et, 
  avec laide de certains passeurs, dorganiser des évasions. Jai vécu mes premières 
  années dans cette ambiance de résistance, de tension souvent extrême et de danger, 
  tout en ignorant, à lépoque, une partie des activités de ma mère et de mon 
  oncle.
  Mon frère Pierre (fini avec les Emile!) allait au lycée à Strasbourg. En 1943, 
  alors quil avait 15 ans, la GESTAPO allemande est venue chercher tous les garçons 
  de la classe pour les emmener en Allemagne et les enrôler dans lartillerie 
  anti-aérienne. Mon frère devint pointeur et, comme beaucoup de camarades alsaciens, 
  faisait éclater les obus avant quils ne puissent atteindre lavion anglais 
  ou américain ou canadien. A lheure actuelle, il porte encore quatre cicatrices 
  aux mollets et aux cuisses provenant des piqûres intramusculaires quil sétait 
  faites avec sa propre salive, durant les derniers mois de la guerre, afin de 
  devoir être opéré et de ne plus participer à la folie meurtrière. 
 Je remercie tous les membres de ma famille de mavoir appris, par leur exemple, 
  à dire NON à linacceptable, à linhumain, à linjustice. Je les remercie davoir 
  cultivé lesprit critique en même temps que lesprit de tolérance. Je les remercie 
  de nous avoir appris à réfléchir par nous-mêmes et dêtre extrêmement prudents 
  avant de formuler des conclusions. Je les remercie de nous avoir montré le chemin 
  pour faire éclater les frontières entre les humains, non seulement celles, rigides, 
  des Etats, mais aussi celles de la pensées et du coeur.
 Souvent les Etats se trompent au sujet des populations  ou veulent se tromper, 
  parce que ça les arrange. Ainsi, chez nous en Alsace, sous Hitler, il était 
  défendu de parler ou de chanter en français, sous peine demprisonnement. Tous 
  les livres français furent ramassés et passèrent au pilon. Mais quand, en 1945, 
  lAlsace redevint française, le Gouvernement central parisien exerça également 
  une pression certaine sur les Alsaciens pour quil abandonnent leur dialecte. 
  On vit fleurir, dans tous les lieux publics et dans les bus, des pancartes disant 
  CEST CHIC DE PARLER FRANÇAIS, alors que dans les écoles il était 
  strictement interdit de parler lalsacien, même dans la cour. Lhéritage culturel 
  germanique devait disparaître. LEtat jacobin français a mis jusquen 1990-91 
  pour comprendre quun vrai bilinguisme en Alsace était un atout non seulement 
  culturel mais également commercial et économique pour le pays.
  Autre exemple dincompréhension: Après la guerre de 1939-45 lEtat français 
  classa mes parents et ma famille en général dans la catégorie des patriotes, 
  cest-à-dire dans le sens nationaliste inconditionnel, vu leur attitude et leurs 
  agissements antinazis. Aussi, au moment où je fus appelé à participer à la guerre 
  dAlgérie, pendant 25 mois, de 1960 à 1962, me versa-t-on dans un service de 
  renseignement (espionnage téléphonique et censure de la Presse) étant donné 
  que les Rettig servaient la France à nimporte quel prix.
  Or, les Grosses Têtes dirigeantes sétaient trompées. Mes parents et mon frère 
  avaient agi par réflexion personnelle, humanisme et antitotalitarisme et non 
  pas au nom dun nationalisme bêlant et obtus. Ainsi, en Algérie, je me suis 
  vu obligé de saboter mon travail par ma réflexion et mes choix, jai laissé 
  passer beaucoup dinformations que normalement il fallait censurer, et je nai 
  pas signalé les fellaghas, les soldats de libération de lAlgérie, que javais 
  repérés par les écoutes téléphoniques. Je ne signalais que les préparatifs directs 
  dattentats. Des choix pas toujours faciles. Mes motivations étaient les mêmes 
  que celles de mes parents et de mon frère.
 Ainsi le plus grand handicap, pour un Etat malhonnête, aventurier, colonialiste, 
  opportuniste, belliqueux, fasciste, à tendance totalitaire ou antidémocratique, 
  etc  -  - -(Ce nest quune liste dexemples, car la France nétait pas tout 
  cela à la fois), cest la non-adhésion passive et active de sa propre population.
 Venons-en plus précisément aux thèmes annoncés dans le titre de mon exposé: 
  le régionalisme et le mouvement écologique. Je tenais simplement à montrer, 
  dans un premier temps, que les joies, les peines, les actions, les réactions 
  humaines ne sont pas des éléments isolés dans lespace et le temps. LAlsace 
  et la Galicie sont plus soeurs quéventuellement vous ne le soupçonniez. Lattitude 
  de vos parents, de notre entourage nous conditionne, nous façonne plus que nous 
  ne le pensons. Tout est maillon dune chaîne, dune interaction. Il est bon 
  de sen rappeler. Jaimerais insister sur le fait que très souvent les populations 
  ont été induites en erreur (regardez le drame yougoslave ou bosniaque!), trompées, 
  excitées les unes contre les autres, alors quelles avaient et ont toujours 
  intérêt à se rencontrer, à apprendre la langue de lautre, à se parler, à coopérer, 
  à sentraider, à se respecter dans leurs particularités.
  Je ne citerai que deux exemples de ces fausses valeurs qui ont fait couler 
  tellement de sang et généré tellement de malheur: LHONNEUR NATIONAL et LENNEMI 
  HÉRÉDITAIRE. Au 19e et dans la première moitié du 20e siècle, les intellectuels, 
  les politiques, les militaires et même les industriels en ont usé et abusé. 
  Quun sang impur abreuve nos sillons, lançait la France dans son hymne 
  national. Et Deutschland über alles, annonçait lAllemagne. Et la petite 
  Alsace se trouvait entre les deux, comme entre deux parents divorcés qui sarrachent 
  leurs enfants.
  Mille bon sang de sabord, nétiez-vous pas fichus de voir plus loin que votre 
  front borné?! Ne pouviez-vous pas vous défaire de vos idées étriquées et meurtières?! 
  De Gaulle voulait une Europe de lAtlantique à lOural. Avec Adenauer 
  il travailla à la réconcilation de lAllemagne et de la France. Et puis il y 
  avait lennemi commun, lUnion Soviétique, contre qui il fallait serrer les 
  coudes. Mais la base, les deux populations se rencontraient elles? Sapprivoisaient-elles? 
  Faisaient-elles des choses en commun, spontanément, en dehors de la surveillance 
  et du cadre officiels? Prenaient-elles leur destin de voisins en main? La réponse 
  est malheureusement négative.
 Il y eut Mai 68 qui déferla sur lEurope de lOuest, avec ses maladresses 
  certes, mais aussi avec ses questions vitales, sa notion de participacion, de 
  critique de lautorité pure et dure, de paternalisme, de lexploitation des 
  travailleurs, de lidéal de vie que nous proposait la société industrielle du 
  capitalisme libéral à outrance. Les Jeunes et beaucoup de moins Jeunes se mirent 
  à rêver dune révolution humaniste. De Gaulle, après beaucoup dhésitation, 
  alla à Baden-Baden sassurer de lappui de Général Massu, chef des armées françaises 
  stationnées en Allemagne. Le Parti Communiste français, et son syndicat la CGT, 
  eurent peur de se faire dépasser sur leur aile gauche et composèrent avec le 
  Gouvernement. Mai 68 avait vécu... et lon se remit au travail.
  Pourtant la dimension politique de la réflexion ne fut pas perdue. Et à partir 
  de 1970 elle senrichit dune dimension écologique. Il devint de plus en plus 
  clair que nos sillons navaient plus besoin de sabreuver du sang 
  impur, puisquils étaient déjà saturés dengrais chimiques, de pesticides, 
  dherbicides, de métaux lourds, de retombées radioactives. Et le Deutschland 
  über alles dut battre en retraite, puisque les problèmes étaient devenus 
  planétaires! Il fallait sauver les mers, les océans, les forêts, les cours deau, 
  lair, les forêts tropicales, le Capital génétique (et cela continue à lheure 
  actuelle). Il fallait lutter contre la menace de la surpopulation.
  Par exemple le cloaque hyperpollué et nauséabond quétait devenu le Rhin était 
  à la fois suisse, français, allemand, néerlandais. Il ne suffisait plus que 
  les officiels nationaux se renvoient la balle des responsabilités; il fallait 
  que les riverains retroussent les manches et mettent en place des dispositions 
  pratiques. Les communes, les industries, les stations de pompage, les pêcheurs, 
  les agriculteurs, tous les interessés et utilisateurs devaient se parler et 
  chercher des solutions. Cela na jamais été facile, car les interêts à court 
  terme étaient souvent divergents. Il fallut la catastrophe nommée TCHERNO-BÂLE, 
  où une usine chimique de Bâle (en Suisse) empoisonna tout le fleuve, pour donner 
  à tout le monde lélectrochoc nécessaire à la prise de décisions draconiennes.
 LAlsace avait toujours une forte relation à la Nature. Mais lAlsacien est 
  gentil et correct par essence. Il lui a fallu apprendre à se hisser au niveau 
  de la critique politique (pas toujours negative), à hausser le ton, à prendre 
  lui-même son destin en main (il a tellement souvent changé de maître!). Des 
  technocrates nationaux et bruxellois planifiaient dindustrialiser à outrance 
  le couloir rhénan, de Rotterdam à Bâle, et de déplacer les zones dhabitation 
  dans les montagnes (Vosges, Forêt Noire). Lénergie, pour faire tourner ces 
  usines, devait être produite par dimmenses parcs des réacteurs nucléaires. 
  Avec ce que nous savions sur les méfaits de la pollution chimique, de la pollution 
  radioactive, cétait maintenant quil fallait oser, quil fallait agir, quil 
  fallait informer les populations et sopposer aux projets démoniaques et mégalomanes.
  Comme le trait dunion de ces projets était le Rhin, ce fleuve devint aussi 
  occasion de nouvelles rencontres entre les populations badoises, alsaciennes 
  et suisses. On créa des comités, des associations de défense. On informa; on 
  occupa des terrains de construction, nuit et jour; on mena des procès contre 
  les firmes, contre lEtat; on vecut une coopération transfrontalière réelle...; 
  et tout le monde découvrit la communauté dintérêts des populations de la Région, 
  mesurée aux réalités écologiques, souvent culturelles, parfois linguistiques 
  et toujour humanitaires. Le mouvement écologique ne veut pas abolir lEtat, 
  dissoudre les cultures, les pays dans un magma informe, sans saveur, sans traditions, 
  sans cohésion sociale. Bien en contraire! Mais il a toujours plaidé pour une 
  vision densemble des problèmes et des solutions à apporter. Pour que les discours 
  creux soient dépassés, pour que les fleuves, les nappes phréatiques, les forêts, 
  les tols, lair, la santé des gens soient sauvés, il faut que les Etats abandonnent 
  une bonne partie de leur rigidité et se soucient sincèrement des conséquences 
  de leurs actes sur les populations et les pays voisins. La France, le pays où 
  jhabite, à bien des égards, a encore beaucoup de progrès à réaliser. 
  A travers nos luttes, ceux qui en avaient encore besoin ont découvert que 
  les vraies frontières nétaient pas celles que les puissants avaient placées 
  entre les populations de nos pays respectifs mais celles qui existaient et existent 
  encore, souvent invisibles, à lintérieur de chaque pays, entre les populations 
  et les lobbies, les groupes dintérêts. Je me rappellerai toujours de ce vigneron 
  badois (donc allemand) après des mois daction et doccupation communes de terrain 
   donc aussi des mois déchanges et dapprivoisement avec une foule dAlsaciennes 
  et dAlsaciens  , qui lança: Jai découvert que nous sommes des frères, 
  que nous sommes faits pour vivre ensemble, que les politiques et les grands 
  meneurs du passé nous ont menti. Quand je pense que nous avons tiré les uns 
  sur les autres par-dessus le Rhin! Quelle folie! Si nos grands messieurs de 
  Bonn et de Paris veulent remettre cela un jour, nous dirons NON, nous ne marcherons 
  pas, car nous avons vécu autre chose. Puissent ces bonnes résolutions sétendre 
  au monde entier (elle est tellement petite, notre planète!). Puisse la mémoire 
  ne pas être défaillante. Je vais maintenant essayer de résumer 6 cas de lutte 
  dont la Région du Rhin Supérieur a été le théâtre. Je vous parle donc dune 
  période qui sétend, grosso modo, de 1970 à 1980, avec un certain nombre de 
  prolongements durant les années 80.
 1 En juillet 1970 est rendu publique la construction de 2 réacteurs 
  nucléaires à FESSENHEIM en Alsace. Cest le seul projet du genre qui a pu être 
  réalisé dans la Plaine du Rhin Supérieur. Les réacteurs 3 et 4, prévus également 
  pour ce site, ont pu être évités. La lutte contre 1 et 2 continue et se terminera 
  par leur fermeture, avec lamorce de la sortie du nucléaire français.
 2 Au printemps 1971, le Gouvernement de Baden-Württemberg annonce la 
  construction de 4 réacteurs à BREISACH, sur le rive droite du Rhin, en Pays 
  de Bade. Une opposition grandissante et inattendue de la population a raison 
  du projet, en mai 1973.
  3 En été 1974, les CHEMISCHE WERKE MÜNCHEN, une firme allemande, veulent 
  implanter à MARCKOLSHEIM, du côté alsacien, à 15 km en aval de BREISACH, une 
  usine de stéarates de plomb. Ce projet a été refusé auparavant par trois autres 
  communes allemandes et françaises. Une occupation du terrain de construction, 
  par la population, pendant 5 mois, met fin au projet.
 4 Fin 1973, le projet nucléaire, avorté à BREISACH, resurgit à WYHL 
  (Pays de Bade), entre BREISACH et STRASBOURG. Des manifestations, des conférences-débats, 
  la confrontation massive avec la police, loccupation du terrain (plus de 1 
  an), des procès  -  et une pression populaire inlassable arrivent à faire 
  plier la BADENWERK A.G. et le Land de Baden-Württemberg. Pas de centrale nucléaire 
  à WYHL!
  5 Dès 1966, MOTOR COLUMBUS A.G. veut installer une centrale nucléaire 
  à KAISERAUGST, en Suisse, à 19 km en amont de BÂLE, sur le Rhin. Beaucoup de 
  réunions, de contre-réunions, de votes et de discussions, comme la tradition 
  et la Constitution suisses le permettent. Ce nest quen 1970 que les populations 
  alsaciennes et badoises prennent connaissance du projet nucléaire suisse. Le 
  24 mars 1975, début des travaux. Le 1er avril 1974 blocage des travaux et occupation 
  du terrain par les populations et les comités, jusquau 19 mai 1975. Aujourdhui 
  la centrale nest toujours pas construite.
 6 A cette époque, il existe toute une liste de sites envisageables, 
  sur le Rhin Supérieur, pour des centrales nucléaires. En décembre 1976, ÉLECTRICITÉ 
  DE FRANCE (EDF) fait dresser, sur un terrain de GERSTHEIM (Alsace), entre WYHL 
  et STRASBOURG, un mât météorologique, signe avant-coureur de limplantation 
  dune centrale nucléaire. En effet, chez le Maire et son premier Adjoint se 
  trouvent des plans avec 4 réacteurs de 1300 Megawatts électriques chacun. Occupation 
  du terrain pendant 7 mois. Démontage du mât. Le projet nucléaire est maintenant 
  connu de tous. Les populations sont entraînées. Le projet est refusé.
 Ces six champs de lutte et dengagement écologiques ont été, comme dit plus 
  haut, une école de vie, de civisme, de responsabilisation individuelle et collective, 
  de prise de conscience des valeurs de base, de développement des capacités de 
  chacun. La caste des décideurs et de ceux qui disposent généralement de la vie 
  et du destin des gens a été confrontée à des populations éveillées, inventives, 
  pétillantes, courageuses, profondément non-violentes et citoyennes. Les technocrates 
  et utopistes du développement à outrance ont dû tenir compte du bon sens des 
  populations honnêtes.
  Ces actions ont été et à lavenir continueront à être transfrontalières, nen 
  déplaise aux nationalistes et autresjustifiés des éléments naturels (eau, air, 
  sols, espace ----), conditions nécessaires dune existence viable, incluent 
  lamour et le respect du voisin, le partage des sa culture, lapprentissage 
  de sa langue. Nous avons répondu par un grand éclat de rire au Préfet de la 
  Région Alsace, Monsieur Sicurani, qui voulait interdire aux Allemands de la 
  rive droite du Rhin de passer la frontière pour nous aider à lutter, en Alsace, 
  contre le projet allemand (!) dune usine à plomb. En un rien de temps, le pont 
  sur le Rhin a été occupé et bloqué par les Français et les Allemands, ne laissant 
  passer plus aucun trafic. Le Préfet dut faire marche-arrière, pris au piège 
  de sa propre injustice. Largent et la pollution ne conaissent pas de frontières. 
  Pourquoi les populations se laisseraient-elles séparer?!
  A cette époque, le thème de lécologie était tout à fait nouveau, et nos rebellions 
  contre des projets criminels, mettant la santé publique en danger, ont été inattendues. 
  Ce sont les évènements relatés et nos actions qui ont fait entrer la réflexion 
  écologique dans la conscience des gens. Pendant des années, toutes les idées 
  et initiatives venaient den bas. Aucun parti politique ne sétait penché sérieusement 
  sur la question  et encore moins engagé. Les communistes, par exemple, orientés 
  vers Pékin ou vers Moscou, voulaient bien participer à la popularité de la révolte, 
  ici, à lOuest, mais étaient obligés de se montrer favorables au nucléaire de 
  leur patrie idéologique. Dans lensemble, nos hommes politiques, du Maire jusquau 
  Député, ont été très peu au courant des questions écologiques. Pendant longtemps 
  cela ne payait pas; et puis pourquoi se mettre en difficulté vis-à-vis des thèses 
  officielles?! Les politiques, sils ne sont pas poussés aux fesses par la base, 
  restent pour la plupart très classiques et carriéristes.
 Des trois pays dont nous parlons, cest la France qui a le plus à lutter contre 
  la politique du secret. Laisser discutailler le peuple, mais réaliser, 
  coûte que coûte, ce que les grands esprits de lÉCOLE NATIONALE DE LADMINISTRATION, 
  de POLYTECHNIQUE et du SERVICE DES MINES concoctent dans les coulisses. En matière 
  de nucléaire, par exemple, toutes les décisions se prennent par décrets gouvernementaux 
  et non par votes au Parlement. Ne pense pas, accepte et tais-toi! Durant ces 
  années de lutte, nous, associations et populations badoises, suisses et alsaciennes, 
  avons pu apprendre une foule de choses.
 Il a été de la plus haute importance que nous ayons réussi à unir, dans les 
  mêmes actions, Jeunes et Vieux, gens de la ville et habitants des campagnes, 
  intellectuels et manuels, scientifiques et artistes ---, car nos adversaires 
  avaient intérêt à diviser les populations, à créer des scissions, afin de mieux 
  régner et faire passer leurs projets. Cette confiance réciproque a dû être construite 
  avec doigté et beaucoup de patience. Chacun a appris, chacun a dû souvrir et 
  relativiser ses valeurs propres. Le soi-disant Communiste est devenu moins diabolique 
  (problème pour les Allemands); le paysan et virgneron est devenu un peu étudiant; 
  létudiant a goûté le terroir, a appris à manier la fourche et la hache--- et 
  à parler plus simplement.
  Dans le cadre de laffaire de Wyhl a été créée lUniversitaire Populaire WYHLER 
  WALD, qui animait culturellement dabord le terrain occupé, puis, pendant des 
  années, les communes des alentours. Richesse des thèmes abordés, diversité des 
  intervenants, non seulement Allemands et Francais, mais également des scientifiques 
  américains, des Indiens dAmérique, des moines bouddhistes, des médecins de 
  lIran, des écologistes du Brésil. Une fraternité pragmatique et fertile.
 A lopposé du SERMENT DE STRASBOURG, signé en 842, et dont je vous ai parlé 
  au début, dans le cadre de la lutte de Gerstheim, 60 communes ont souscrit, 
  devant les médias français et allemands, un pacte dentraide et dassistance 
  mutuelles pour mettre en échec le projet nucléaire. Contrairement à Charles 
  le Chauve et Louis le Germanique, nous navions pas darrière-pensées inavouables; 
  nous agissions dans lintérêt des habitants de cette Région et de leurs descendants. 
  Ce fut le SERMENT POPULAIRE DER GERSTHEIM. Nous avons aussi appris que 
  la réussite appelle dautres réussites. Car beaucoup de gens ne vous rejoignent 
  que sils voient quon peut être gagnant.
  Par ailleurs, la lutte de Fessenheim, toujours en cours, nous a clairement 
  montré que, pour avoir des chances de gagner, if faut avoir une partie, au moins, 
  des habitants de la commune concernée avec soi. Il ne suffit pas de manifester 
  par milliers de personnes venant de lextérieur. Cest la raison pour laquelle 
  les industriels cherchent à acheter les gens de la commune dimplantation. Ceci 
  devrait aussi être vrai chez nous. Il ne suffit pas non plus de tourner en vase 
  clos, entre écologistes. Il faut réveiller et intéresser toutes les composantes 
  dune population, sinon on est marginalisé. Des milliers de personnes de notre 
  région ont pu toucher du doigt que les technocrates et des spécialistes sont 
  prêts à répandre des mensonges et des demi-vérités, par discipline professionelle, 
  par appât du gain, par simple appartenance à une caste. Ces personnes du peuple 
  ne sen laissent plus conter; elles nont plus de sentiment dinfériorité; elles 
  savent maintenant parler en public et démasquer les vendus.
  Est-il besoin de le dire? Il ny avait rien à gagner financièrement à travers 
  nos actions de longue haleine. Au contraire, énormément de gens y ont mis de 
  largent de leur poche, selon leurs moyens. Comme la naissance, la mort, lamour, 
  la joie, le lever du soleil, le paysage agréable... notre démarche était et 
  reste gratuite. Mais il est normal que de plus en plus de personnens gagnent, 
  à lavenir, leur vie en fabriquant des capteurs solaires, des éoliennes, des 
  installations photovoltaiques, des installations de cogénération, des isolants, 
  etc.... Car nous ne voulons pas uniquement savoir dire NON. Notre rôle est aussi 
  de proposer autre chose à la place. Ainsi, par exemple, des turbines à gaz remplaceraient 
  avantageusement les réacteurs de Tchernobyl, même si FRAMATÔME, SIEMENS, ELECTRICITÉ 
  DE FRANCE veulent absolument vous rendre de nouveaux réacteurs nucléaires. Ne 
  soyez pas dupes: TOUT CE QUI BRILLE A LOUEST NEST PAS OR! Si lon attend 
  dêtre payé pour sauver la branche sur laquelle on est assis, cela ira très 
  mal.
 Ah, jallais oublier! Un jour, un professeur dhistoire et homme politique 
  dAlsace a publié un article de journal, où il disait que nous, les antinucléaires, 
  étions payés par le KGB. Nous lui avons intenté un procès en diffamation... 
  et avons gagné.
  Un des principes de nos luttes a toujours été la non-violence. Pourquoi? Dabord 
  parce que nos adversaires ont plus de moyens pour être vraiment violents. Ils 
  envoient dautres pour exécuter la sale besogne. Ensuite parce que nous pensons 
  que la violence ne transforme pas les humains. Si nous sommes violents, nous 
  fournissons à ladversaire toutes les justifications pour lêtre encore plus 
  que nous. Par contre, si nous choisissons lautre voie, nous lui offrons loccasion 
  de réfléchir et de se transformer ou, sil persiste, de révéler publiquement 
  son vrai visage dinjustice et de perdre peu à peu la sympathie des gens. Le 
  Ministre-Président de Baden-Württemberg, Hans Filbinger, à travers laffaire 
  de Wyhl, en a fait lexpérience. Ses mensonges et sa violence policière lui 
  ont brisé la nuque. Il na pas voulu se transformer.
  La démarche non-violente exclut cependant la naïveté et la mollesse; au contraire, 
  elle fait appel à la finesse danalyse, à la créativité , à la mobilité, à la 
  psychologie, au courage lucide, à lesprit de solidarité. Il nest pas interdit 
  dexploiter la force de ladversaire pour éventuellement arriver à la neutraliser. 
  La recherche du dialogue est toujours conseillée. On a intérêt à ménager une 
  porte de sortie à ladversaire. Notre but na pas à être la haine mais la vérité 
  et la justice. La juste colère a sa place dans un tel processus, car la seule 
  froide raison ne peut pas faire franchir à tout le monde le fossé qui existe 
  entre la pensée et lacte. Mais cette colère doit rester maîtresse delle-même 
  et ne jamais oublier le but ultime. On peut dire également que plus le nombre 
  de participants actifs est grand, moins il est aisé pour ladversaire de passer 
  outre au mouvement. Enfin, la pratique a révélé quil vaut toujours mieux avancer 
  sur deux ou plusieurs voies (information, dialogue, actions directes, occupation, 
  procès, participation à des élections, etc. ...) que sur une seule, car ladversaire 
  cherchera toujours à nous contrer ou à nous contourner. 
 Je marrête là. Et pourtant le vécu a été à la fois bien plus astreignant et 
  bien plus riche que ce que jai pu essayer de vous faire entrevoir à travers 
  mon exposé.
 Je vous remercie de votre attention.
           
      
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         2001
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